Les Géants de la course à pied La saga des pédestrians |
Tant d’histoire encore jamais dites...
Des histoires effarantes, la plupart inouïes, certaines ignorées, d'autres à peine effleurées.
Les coureurs de marathon, tout d'abord. Abébé Bikila, fier Éthiopien aux pieds nus, happé par un destin tragique... Avant lui, le Français Mimoun, phénomène de ténacité... Zatopek, pionnier grimaçant, « un saint », dira Mimoun ... Plus avant, on s'y perd déjà un peu. Raison de plus pour dire l'Argentin Zabala, un orphelin, vieilli pour les besoins de la cause, olympique... Et cet El-Ouafi, médaillé d'or en 1928, miséreux devenu, abattu par erreur... En outre, qui a jamais dit, rarissimes photos à l'appui, le drame du Portugais Lazaro, mort au bout de la nuit d'après le marathon des Jeux de 1912 ? Parle-t-on encore de l'Italien Dorando Pietri, en tête sur la ligne d'arrivée du marathon des Jeux de Londres, en 1908, et puis disqualifié parce qu'alors soutenu par des officiels ?
Nous voici à Spiridon Louis, énigmatique vainqueur du premier marathon, en 1896. C'est ce Grec, porteur d'eau, qui aura fait le plus pour la cause du marathon, et donc pour celle des Jeux olympiques, soudain populaires, et, finalement, pour la course à la portée de tous. Extrait d'une feuille grecque de 1896, le reportage du premier marathon méritait bien d'être exhumé. S'y ajoutent des lettres que l'Australien Flack écrivit à son père. Flack ? En tête au 30ème kilomètre, mais au bout du rouleau, il avait vu passer notre Spiridon, l'air frais comme un gardon...
Tant d'autres histoires, troublantes ou merveilleuses… Ainsi, à propos du Finlandais Nurmi, le coureur aux sept médailles d'or, disqualifié pour avoir touché trop tôt de l'argent pourtant bien mérité. Imagine-t-on un génial sourcier puni pour avoir bu de son eau ! Selon un érudit finlandais, contrairement à sa légende « Nurmi aimait plus les femmes que les médailles d'or... » Autre histoire insolite, celle du Portugais Dias, un surdoué qui, les pieds en sang, dut un jour chausser les bottines d'un gars des Jeunesses hitlériennes...
Ou encore Guillaume Tell, un Provençal, qui se régalera à conter le temps où il brûlait le dur, avant de recevoir pour prix... un extincteur. Et ce Saint-Yves, dont la course, à Londres, était· celle de garçons de café ; et puis il remporta les plus grands marathons, avant de se retirer, fortune faite, à 21 ans !
Il y en a bien d'autres, parfois chuchotées au cœur de la nuit, à la seule clarté des étoiles. Ainsi l'Éthiopien Biratou disant pourquoi, sélectionné pour le marathon des Jeux de 1956, il refusa d'y aller. Et puis par quel coup du sort, désigné pour le marathon des Jeux de Rome, il dut céder sa place au futur vainqueur, Abébé Bikila.
Wami Biratou (extrait)
Sur la tombe d'Abébé Bikila, il y a un monument à la gloire du plus célèbre des champions africains. S'il fallait un modèle pour l'effigie du Marathonien inconnu, c'est assurément Wami Biratou qui conviendrait.
Addis Abéba, dans le hall de l'hôtel Ghion, en juin 1986, au temps de la dictature communiste. Un indigène anonyme me dit en un français parafait : « je vous ai entendu parler de nos marathoniens. J’espère que vous n'oublierez pas Wami Biratou... » Wami Biratou ? Vérification faite, si dans Spiridon Fekrou Kidané, ex-secrétaire du Comité olympique éthiopien, en avait parlé un jour, il n'avait pas nommé cet homme.
Grâce à Tesfayé Shafo, un gentleman de la Commission des sports, j'eus bientôt rencontré l'illustre coureur inconnu. Modeste, effacé, il a parlé. C'était peut-être la première fois qu'un journaliste étranger l'écoutait.
« J’ai commencé à courir en 1945 (en 1953, selon notre calendrier), a-t-il conté. J’avais alors 24 ans. Après avoir servi dans l'armée, je suis entré dans la garde impériale du négus. En compétition, je courais le 5000, le 10 000, et le marathon ». En fait, j'ai toujours couru. À la campagne, tout petit, dès que j'ai pu marcher, j'ai couru ! J’aimais jouer, mais c'est surtout pour chasser que je courais. Il m'est souvent arrivé de traquer ainsi des antilopes...